Outre de rares artistes internationalement cotés – #Chéri SAMBA en tête – le marché de l’Art Contemporain Africain reste encore abordable, y compris pour ceux considérés comme de véritables précurseurs à l’exception du record mondial d’Ousmane Sow, l’année dernière chez Million en 2014. Ainsi, les rares dessins d‘Antoinette LUBAKI n’ont encore jamais passés les 12 000 $ en salles.
La relève est assurée par des œuvres définitivement hautes en couleurs, dont celles de Steve BANDOMA, né en 1981 à Kinshasa. Ses grands dessins de plus d’un mètre sont accessibles autour de 5 000 $ en salles. Un peu plus cher, son collègue Kura SHOMALI, 36 ans, se vend entre 8 000 et 10 000 $ en moyenne.
Les artistes africains font généralement leurs armes dans des salles de ventes en France. Le marché en est à ses débuts; il s’est éveillé en 2014 seulement pour des artistes comme Pathy TSHINDELE et Rigobert NIMI, travaillant tous les deux à Kinshasa.
Trois grandes toiles de Pathy Tshindele se sont vendues autour de 6 000 $ chacune chez Piasa (le 7 octobre 2014) et une première sculpture de Rigobert Nimi est partie autour de 10 000 $ chez Millon & Associés (Prédator, adjugée 7 500 € le 19 novembre 2014). Les petites toiles du trentenaire JP MIKA (Jean-Paul Nsimba Mika, né en 1980) testaient le marché pour 500 $ en 2010 et ses œuvres plus grandes passent désormais allègrement les 5 000 $. Ce sont des prix cohérents pour des artistes émergents, loin des envolées spectaculaires constatées chez certains poulains des galeries prescriptrices.
L’Art Contemporain Africain reste un champ d’exploration d’une grande diversité, à l’abri des jeux de spéculations…
Concocté par le marchand d’art Jean-Philippe Aka, le rapport 2014 sur le marché de l’art africain contemporain vient de sortir. Celui de 2015 est attendu pour le premier semestre 2016.
Fruit de plusieurs mois d’un travail de longue haleine mené pour l’occasion avec la société Tutela Capital, mais aussi avec le chercheur Sénégalais Malick Ndiaye et plusieurs critiques d’art (Osei G. Kofi, Lionel Manga et NII B. Andrews), le rapport #Africa Art Market Report (2014) apporte un point de vue rare sur l’état du marché de la création moderne et contemporaine africaine.Balayant toutes les régions du continent, il analyse l’évolution de l’ensemble des acteurs (fondations, musées, artistes, galeries, collectionneurs, etc.) sous un angle rarement évoqué – celui des échanges marchands qui le régissent. Il propose aussi un classement des artistes les plus en vue. Selon une méthodologie équilibrée qui prend en compte les ventes sur les marchés primaire (première vente de l’oeuvre, à hauteur de 25%) et secondaire (25%), mais aussi le nombre d’expositions en musées (20%) comme en galeries (20%) et la reconnaissance par la critique (10%) , les auteurs proposent une liste de 100 noms assortie de chiffres précis.
Et selon leurs recherches, les pays anglophones ont la cote ! Car dans l’ordre, les dix artistes africains les mieux côtés sont :
1/ El Anatsui (Ghana)

Artiste ghanéen installé depuis des années à Nsukka, au Nigeria, El Anatsui (72 ans) a reçu l’année dernière un Lion d’or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière. Les créations qui ont assis sa notoriété sont reconnaissables entre mille : d’immenses draperies de métal constituées de bouchons pliés et reliés entre eux par des fils de cuivre. Il les qualifie de « sculptures » et elles sont réalisées dans son atelier avec l’aide de dizaines de « petites mains ». Très recherchées, elles peuvent aujourd’hui valoir nettement plus de 100 000 euros pièce. Selon le rapport, le chiffre d’affaires des œuvres d’El Anatsui en ventes aux enchères a atteint 4,3 millions de dollars en 2014.
2/ Julie Mehretu (Éthiopie)

Ink on paper
55.9 × 76.2 cm
Carlier Gebauer – Berlin
Née en Éthiopie en 1970, Julie Mehretu est une plasticienne Éthio-Américaine travaillant à New York, où elle partage sa vie avec une artiste australienne, Jessica Rankin. Entre art figuratif et art abstrait, ses immenses tableaux sont des explosions de formes et de couleurs empruntant notamment à l’architecture et jouant sur les effets de transparence. Julie Mehretu a été exposée au Sénégal lors de la dernière biennale de Dakar en 2014. Son chiffre d’affaires en vente aux enchères était estimé, en 2014, à 5,9 millions de dollars.
3/ William Kentridge (Afrique du Sud)

Aquatint, engraving and sugarlift
34.9 × 40 cm
DAVID KRUT PROJECTS – Cape Town
Artiste sud-africain né à Johannesburg en 1955, William Kentridge est depuis longtemps dans la liste des artistes africains les mieux cotés. Ancien acteur et metteur en scène, il est connu pour ses films d’animation, souvent réalisés avec des dessins au fusain ou au charbon, à même des livres ou des ouvrages existants. Sortes de palimpsestes où l’écriture, le mouvement, l’environnement social et géographique de l’Afrique du Sud se questionnent, les œuvres de Kentridge se distinguent de l’ensemble de la production issue du continent notamment par une approche formelle très novatrice. Exposant un peu partout dans le monde – un ses ses films était présenté aux Rencontres de Bamako, à la fin de 2015 – le chiffre d’affaires en ventes aux enchères de cet artiste a atteint 1,5 million de dollars en 2014.
4 / Irma Stern (Afrique du Sud)

Oil on canvas
58 × 44.5 cm
Johans Borman Fine Art – Johannesburg
Iram Stern (1894-1966) doit plutôt être classé dans la rubrique « art moderne »., distinction sur le marché que fait déjà la Maison Bonhams. Née en Afrique du Sud, mais d’origine allemande, c’est dans ce pays qu’elle a étudié et vécu jusqu’en 1920. Grande voyageuse, elle s’est définitivement installée dans son pays natal à partir de 1926. Elle fut l’une des premières à introduire des Sud-Africains noirs dans ses peintures d’inspiration expressionniste. Une grande rétrospective lui a été consacrée à Londres en 1962. Il faut croire que son travail est toujours au goût du jour puisque son chiffres d’Affaires en ventes aux enchères atteignait, en 2014, la somme rondelette de 5 millions de dollars.
5 /Yinka Shonibare (Nigeria)

Fibreglass mannequin, Dutch wax printed cotton textile, net, possessions, astronaut helmet, moon boots and steel baseplate
208 × 93 × 90 cm
James Cohan Gallery – New York
Né à Londres en 1962, mais d’origine nigériane, Yinka Shonibare est la star africaine des arts plastiques à Londres (Royaume-Uni). Contraint de se déplacer en fauteuil roulant, il est célèbre pour ses œuvres extrêmement vives et dynamiques, souvent teintées d’humour, qui reprennent des classiques de l’histoire de l’art occidentale en les « africanisant ». Pour ce faire, Shonibare puise allègrement dans un vaste arc-en-ciel d’imprimés wax. Adepte de ces étoffes symbole de l’Afrique, mais originaires d’Indonésie et fabriquées en Hollande, l’artiste aime jouer avec les frontières. Son chiffre d’affaires en ventes aux enchères a atteint 285 000 dollars en 2014.
6 / Marlene Dumas (Afrique du Sud)

Oil on canvas
130 × 100 cm
© Marlene Dumas photo: Peter Cox Image provided by: The Stedelijk Museum
Stedelijk Museum Amsterdam
Originaire d’Afrique du Sud où elle est née en 1953, Marlène Dumas travaille aujourd’hui en Afrique du Sud. Ses immenses peintures, qui explorent souvent des thématiques ayant trait au corps humain, peuvent valoir plusieurs millions de dollars. Peintre réaliste, Marlene Dumas travaille à partir d’images existantes, qui peuvent être celle d’icônes comme celles de parfaits inconnus, auxquelles elle redonne vie – comme pour nous dire à quel point les clichés dont nous nous abreuvons sont éloignés de la réalité. En 2015, une grande rétrospective lui a été consacrée en Europe par la fondation Beyeler, à Bâle : The image as burden(L’image comme un fardeau). En 2014, le chiffre d’affaires de ses œuvres en ventes aux enchères était de 800 000 dollars.
7 / Wangechi Mutu (Kenya)

Collage painting on paper
31 1/2 × 22 1/2 in
80 × 57.2 cm
Rush Philanthropic Benefit Auction 2015
Originaire du Kenya, Wangechi Mutu (43 ans) a fait sensation l’année dernière avec une sculpture, un film et une peinture exposés à la Biennale de Venise. Un an auparavant, elle avait aussi présenté l’un de ses films à la biennale de Dakar. Plasticienne installée à Brooklin, elle décline avec différents medias un monde étrange, très personnel, parfois assez effrayant et sombre. Les notions de transformation et de métamorphose sont très présentes dans un travail parfois qualifié d’«Afrofuturiste » où les frontières entre l’animal, le végétal, voire même le mécanique n’existent plus. Son chiffres d’affaire en vente aux enchères en 2014 était de 290 000 euros.
8 / David Goldblatt (Afrique du Sud)

Gelatin silver print
44.8 × 44.5 cm
© David Goldblatt
San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA)
Photographe phare de l’Afrique du Sud, David Goldblatt (85 ans) est connu pour son travail de longue haleine sur l’histoire de son pays. Ayant inspiré nombre de jeunes artistes, il a été et reste un témoin à l’acuité visuelle particulièrement aiguisée. Son travail, essentiellement en noir et blanc, porte sur la vie quotidienne des Sud-Africains, Noirs comme Blancs. Exposé un peu partout dans le monde mais un peu en retrait du monde de l’art contemporain, il est classé par le rapport dans la catégorie « moderne sous évalué » avec un chiffre d’affaires en ventes aux enchères de 45 800 dollars.
9/ Roger Ballen (Afrique du Sud)

From the series From ‘Die Antwoord’ series
Archival pigment print
11 × 13 3/4 in
27.9 × 34.9 cm
Edition of 50
HAMILTON GALLERY – London
D’origine américaine, Roger Ballen (66 ans) vit en Afrique du Sud depuis les années 1970. Avec un goût prononcé pour l’étrangeté, il a commencé par réaliser des portraits d’habitants des zones rurales reculées du pays. Une étrangeté qu’il continue d’explorer aujourd’hui à travers des mises en scènes parfois qualifiées de “morbides” mettant en scène des poupées. Ballen est aussi connu pour ses collaborations avec le groupe de hip-hop alternatif Die Antwoord. Son chiffre d’affaires en ventes aux enchères pour 2014 n’est pas communiqué.
10 / Chéri Samba (République Démocratique du Congo)

Acrylic on Canvas
80 51/100 × 96 13/20 × 49/50 in
204.5 × 245.5 × 2.5 cm
CAAC The Pigozzi Collection
Premier francophone de cette liste, peintre congolais âgé de 60 ans, Samba wa Mbimba N’zingo Nuni Masi Ndo Mbasi continue de commenter l’actualité dans de grands tableaux colorés au style faussement naïf, assortis de longs commentaires. Autodidacte vivant entre Kinshasa et Paris, Chéri Samba a été exposé lors de Magiciens de la terre en 1989 et reste un protégé du marchand d’art André Magnin, lequel l’a exposé cette année avec d’autres artistes congolais à la fondation Cartier (Paris), pour Beauté Congo. Son chiffre d’affaires en ventes aux enchères pour 2014 était estimé à 97 000 euros.
Le reste de la liste et le rapport complet sont disponibles ici. Dans les grandes lignes, sur les 100 noms se dessine une nette domination de l’Afrique du Sud (40%), suivie par le Nigeria (12%). Mais l’intérêt du rapport se trouve bien entendu ailleurs que dans ce simple classement. Outre offrir plusieurs pistes d’analyse sur l’ensemble du continent, les auteurs évaluent chaque artiste selon des critères subjectifs et objectifs qui leur permettent de définir – pour de potentiels collectionneurs – des tendances. « Potentiel élevé », « moderne sous évalué », « contemporain sous évalué », « à suivre » sont autant d’indications qui, on l’espère, devraient convaincre des mécènes ou des acheteurs africains de jeter un œil sur leurs artistes… avant que leurs œuvres ne s’en aillent grossir les collections occidentales.
A noter que dans le top 10 du classement les artistes femmes ont la part belle (4/10) et que l’on retient soit la nationalité de l’artiste, soit son “africanité”, question faisant largement débat, sur laquelle je reviendrai dans une autre analyse, et notamment quand il s’agit d’artistes “blancs”, nés en Afrique et qui ne sont pas vus comme africains à part entière. Enfin le premier artiste francophone et non le moindre, Chéri samba est classé 10ème.
Si certains experts de maisons de ventes, anglophones pour la plupart, se déplacent pour aller à la rencontre de places de marché sur le continent africain, c’est parce que ils parient à moyen terme sur sa forte expansion in situ, certains pays, le Nigéria en tête de liste, regorgeant d’acheteurs potentiels.
“Par certains aspects, l’Afrique est la Chine de demain dans le secteur artistique. Nous investissons du temps, de l’argent et du personnel afin de maintenir notre présence sur ce marché” (Expert Bonhams).
La maison #Bonhams a été précurseur dans ce domaine en organisant dès 2007 “Africa Now” à Londres, une grande vente d’art moderne et contemporain africain, devenue un rendez-vous annuel.
Parmi ses plus belles ventes figurent “Le prêtre arabe” de la peintre sud-africaine #Irma Stern, acquis par l’Autorité des musées du Quatar pour plus de trois millions de livres (4,2 millions d’euros), la “Nouvelle carte du monde”, une des célèbres tapisseries brodées de capsules écrasées réalisées par le Ghanéen #El Anatsui, partie pour près de 550.000 de livres (environ 768.000 euros), ou encore un lot de sculptures du Nigérian #Ben Enwonwu à 361.250 livres (504.000 euros).
Il y a encore une dizaine d’années, les grands artistes du continent étaient totalement absents des ventes aux enchères d’art contemporain.
Aujourd’hui, des pièces contemporaines africaines sont aussi vendues par les grandes maisons concurrentes. Une autre tapisserie d’El Anatsui est notamment partie pour 1,4 million de dollars (plus d’1,2 million d’euros) dans une vente aux enchères organisée par Sotheby’s.
Quand des institutions comme la Tate (à Londres) et le Smithsonian (à Washington) commencent à acquérir de l’art africain contemporain, les acteurs du marché de l’art se mettent en alerte.
Fort des succès de ces dernières années, la Maison Bonhams a décidé de se spécialiser davantage cette année en offrant un volet moderne d'”Africa Now” en mai 2016, et un volet contemporain en octobre 2016. Or chez Bonhams, les acheteurs des ventes “Africa Now” sont en grande partie originaires d’Afrique, explique M. Peppiatt, et “de nombreux collectionneurs sont de très riches hommes d’affaires nigérians”.
“Les collectionneurs nigérians veulent posséder un peu de leur culture et de leur passé et ils en ont les moyens financiers”, explique Neil Coventry, représentant de Bonhams à Lagos.
Et “ce qui est fascinant, c’est qu’on a découvert toutes ces pièces (vendues aux enchères) dans le monde entier. Et dans certains cas, elles sont réacheminées au Nigeria, là où elles ont le plus de valeur et où elles sont le plus appréciées”, dit-il depuis son salon qui donne sur la lagune et dont les murs sont recouverts de chefs-d’oeuvre nigérians. En cela, la démarche ressemble à celle des collectionneurs chinois…
M. Coventry cite l’exemple du peintre et sculpteur Ben Enwonwu (1917-1994), connu et reconnu au Nigeria comme au Royaume-Uni de son vivant –il fut notamment le premier artiste africain noir à réaliser une sculpture de la reine Elizabeth II en 1957– puis tombé dans l’oubli et aujourd’hui réhabilité.
“C’était un artiste de renommée internationale”, rappelle M. Coventry. Puis sa cote s’est effondrée après sa mort, au moment où ceux qui possédaient ses oeuvres sont décédés, eux aussi. Leurs héritiers “n’ont souvent aucune idée de la valeur” de ce qu’ils ont entre les mains.
Aujourd’hui, des oeuvres de Ben Enwonwu qui se vendaient encore quelques centaines de dollars il y a dix ans atteignent plusieurs centaines de milliers de dollars dans les ventes de Bonhams. Et “son travail est encore terriblement sous-évalué, ce qui est assez unique pour un artiste qui était si reconnu de son vivant”, estime M. Coventry.
Avec plusieurs autres collectionneurs, #Femi Lijadu fera le voyage de Lagos à Londres pour la vente aux enchères de Bonhams, le 20 mai prochain. Il a repéré des pièces nigérianes “à des prix abordables”. Il y sera aussi parce qu’il est très fier que son pays soit ainsi dépeint à l’étranger, à travers ses plus grands artistes.
Cet avocat nigérian qui possède quelques 500 oeuvres se souvient de la période où il a commencé à gagner sa vie, dans les années 80, et à s’offrir des tableaux des “grands maîtres” de son pays. A l’époque, “on rêvait d’un jour où le monde allait enfin commencer à s’intéresser à l’art nigérian et africain d’une façon générale”, sourit-il.
Sur le continent africain, la création du Musée d’art contemporain africain de Ouidah, au Bénin, par la fondation Zinsou, et l’ouverture prochaine du gigantesque Musée d’art contemporain d’Afrique Zeitz au Cap démontrent l’intérêt croissant des amateurs d’art africains pour leur scène artistique contemporaine même si des faiblesses demeurent.
A commencer par la situation sur le continent africain où, à l’exception de l’Afrique du Sud et le Nigéria, le marché intérieur est encore trop restreint pour soutenir les artistes et favoriser la mise en place d’une infrastructure de marché.
Mais ces faiblesses offrent aussi des opportunités; celles d’essaimer en dehors du continent!
D’un point de vue économique, l’Art Contemporain Africain présente donc tous les traits d’un marché émergent.
Les initiatives se multiplient, la créativité est intense, et les prix restent encore abordables.
Pour les collectionneurs, c’est le moment d’entrer sur le marché !
Sources : Artsy, Jeune Afique, Journal des Arts, Bonhams, le Nouvel Obs