The place to be…
Dès le 22 février dernier, en parcourant l’entrelacement des escaliers du Comptoir des Mines – Espace et Galerie d’Art Contemporain dans le quartier du Gueliz à Marrakech – on percevait cette atmosphère vibrionnante propre au Preview des Foires Internationales… Les Happy Few s’interpellaient au gré de leur découverte des galeries et artistes, et échangeaient leurs premières sensations en sirotant sur la terrasse dominant la ville, visiblement heureux de participer au Maroc à une Première artistique et culturelle pour le continent africain.

La ville de Marrakech n’a bien évidemment pas été choisie au hasard par Touria El Glaoui, la fondatrice il y à 5 ans de cette foire internationale dédiée à l’Art Contemporain Africain. Marrakech coche toutes les cases pour attirer une population arty exigeante : elle «rassure» par sa proximité avec l’Europe et c’est une destination établie pour le tourisme international. Le choix de Marrakech illustre aussi un enracinement africain, celui du Maroc, un an après son retour dans l’Union Africaine, acte politique fort après 33 ans d’absence …
Size isn’t everything…
Si le lancement de cette Ière édition de 1:54 sur le Continent Africain a vu certes un nombre moindre de galeries présentes – en comparaison avec l’incontournable édition annuelle à Londres dès les premiers jours d’octobre à Somerset House -, les art world players étaient néanmoins au rendez-vous. Et 4000 visiteurs de toutes nationalités, en seulement 3 jours à l’échelle de cette ville, illustre bien la réussite du pari de sa fondatrice, qui a su générer, notamment avec son Programme Vip autour de la Foire, un écho continental et international non négligeable.
Des évènements satellites (vernissage d’expositions, résidence d’artistes, programme OFF…) ont aussi permis d’« installer » ce lancement dans un calendrier, entre la Cape Town Art Fair et la prochaine édition très attendue de la Biennale de Dakar, dont la direction artistique est une fois encore assurée, succès oblige, par Simon Njami, commissaire d’exposition et critique d’art pionnier dans la diffusion de la scène contemporaine artistique du continent africain et de ses diasporas, et qui a souhaité rappeler que cette 13e édition – DAK’ART 2018 intitulée L’heure Rouge – sera avant tout LA biennale africaine de l’art contemporain…
“Decolonising Knowledge,”… Des forums organisés lors de la Foire
La décolonisation (soit un processus d’indépendance) du Savoir a été l’un des thèmes abordés dans les forums qui souhaitaient valoriser une juste appropriation par le Continent de “son” histoire de l’art, qui, sans connaissances partagées, actualisées et maitrisées, exprime trop souvent encore une vision euro-centrée sur Une Afrique, et ce, de façon trop globalisante ! Comme si elle n’était qu’un seul Etat, oubliant alors les 54 pays qui la composent et surtout leur diversité de cultures et d’histoires… Or depuis 2013, en Europe puis aux USA, la Foire internationale 1:54, affiche dès son intitulé et dans son ADN, la ferme volonté d’exposer cette diversité.
Des galeristes sélectifs…

Pour la réussite de ce lancement, sa fondatrice a su compter sur ses premiers et plus fidèles soutiens, les galeristes, venus principalement du Continent et d’Europe, qui par leur proposition d’artistes “ciblée” ont su générer un enthousiasme, voire un réel engouement, dès le vernissage et auprès de tous les regardeurs – art lovers, collectionneurs, art advisors, curateurs, VIP, journalistes…-.




Avec une mention très spéciale pour l’artiste ivoirienne, Joana Choumali, très remarquée lors de la 11ème édition des Rencontres de Bamako en décembre dernier, qui a présenté « Ça Va Aller » , une installation de photographies de Grand Bassam, ville emblématique de Côte d’Ivoire où s’est déroulée en 2016, une tragique attaque terroriste. Par l’utilisation de cette expression (ça va aller… ) si pudique et couramment employée dans ce pays afin d’éviter d’aborder plus frontalement des problèmes d’ordre psychologique, avec sensibilité l’artiste propose une promesse de cicatrisation, grâce à ses broderies-sutures sur chacune des photographies…

Happening de cette 1ère édition, la séance dédicace par ses auteurs d’un ouvrage de référence…

Lumières africaines, l’élan contemporain, est un ouvrage à “quatre mains” écrit par deux experts prestigieux de l’art contemporain africain, André Magnin, le spécialiste de l’Afrique artistique contemporaine depuis Les Magiciens de la Terre – Exposition fondatrice pour la diffusion de l’art extra-occidental en France en 1989 – , et Mehdi Qotbi, artiste de renommée internationale et président de la Fondation nationale des musées au Maroc.
Le MACAAL – Une collection privée qui s’affiche …
L’autre événement-phare de ces quelques jours à Marrakech a été la soirée de vernissage de deux expositions, au MACAAL (Musée d’Art Contemporain Africain – Al Madeen) qui présentait en avant première Africa Is No Island, – exposition photographique temporaire « rassemblant plus de 40 photographes émergents et établis qui, à travers l’image, réinvestissent l’imaginaire lié au continent africain et abordent des problématiques culturelles universelles telles que la tradition, la spiritualité, la famille et l’environnement » -, ainsi qu’un nouvel accrochage de sa collection permanente Second Life, proposant une sélection d’œuvres ayant trait au recyclage d’objets ou de matériaux réutilisés – toutes appartenant à la collection privée du fondateur du Musée, Alami Lazraq, Grand mécène et Président du groupe immobilier marocain Alliances -.
Son fils Othman Lazraq qui en assure la présidence, n’a pas manqué de souligner pour l’occasion l’importance de cette soirée en rappelant “combien les mentalités ont changé depuis 5 ans. Et que rien que le fait qu’une collection privée s’expose au public au Maroc est un évènement en soi…”.
Une installation immersive de la collection a particulièrement retenu l’attention, de par la surprise qu’elle provoquait lorsque l’on écartait les épais rideaux noirs qui en masquaient la découverte, et le message de ses auteurs, le collectif marocain Zbel Manifesto qui, en réutilisant les déchets ménagers en plastique du quotidien, collectés durant une semaine autour de résidences, ont recréé une salle à manger et «Un diner en ville » – pour dénoncer le gaspillage d’une consommation incontrôlée, évoquant pour certains les tableaux-pièges de Daniel Spoeri…

La soirée très festive s’est poursuivie toute la nuit autour d’échanges informels entre Art lovers, artistes, galeristes, curateurs, collectionneurs et personnalités, au son d’une musique engageante d’un groupe congolais, et autour d’un buffet marocain magnifiquement dressé à l’image des plus beaux évènements du Royaume.
Hors les murs et Résidence…
Parmi d’autres manifestations culturelles, une autre mention spéciale pour deux évènements, certes de dimension différente, mais de signification équivalente pour le Monde de l’Art…
La belle initiative hors les murs de Jacqueline Ngo Mpii, Fondatrice de Little Africa et de Beya Gille Gacha du Collectif Des Gosses, Marrakech OFF the tracks, qui dans le Ryad aux Yeux Bleus, en plein cœur de la Médina, invitait les amateurs d’art et collectionneurs à découvrir les propositions de 14 artistes et “à échanger avec eux visant ainsi a créer un lien de manière alternative”…

Enfin, à quelques encablures de Marrakech, l’exposition à la Fondation Montresso des derniers travaux de 5 artistes béninois, à l’invitation de Dominique Zinkpé, Ishola Akpo, Charly d’Almeida, Gérard Quenum et Nathanael Vodouhe -, inaugurant un programme trisannuel de résidence IN-DISCIPLINE # 1 à destination des artistes du continent africain.


Alors le Continent Africain, nouvelle destination des collectionneurs d’Art Contemporain ?
C’est ce que j’appelle de mes voeux, parmi d’autres* (*Interview dans Libération de Marie-Ann Yemsi), et plus fort encore depuis l’édition 2016 de la Biennale de Dakar (Voir article en référence).
Si les artistes du Continent peuvent encore manquer d’infrastructures de production ou de diffusion de leurs oeuvres dans leurs pays, ou si les monnaies locales parfois difficiles à convertir ou obligées à utiliser lors d’acquisition d’œuvres d’art poussent certains, et ce de façon exclusive parfois, à commercialiser leurs travaux loin de leurs pays de création – privant de fait ceux-ci de leurs revenus -, force est de constater que de nombreuses initiatives publiques et privées entreprises depuis plusieurs années sont en train de changer cette donne, et de fait, de favoriser la structuration d’un marché de l’art contemporain continental.
“Pas assez de collectionneurs sur le Continent” – ou des prix encore sous-evalués au regard du niveau du marché international – n’empêche plus les artistes de diffuser et commercialiser leur production sur le Continent au sein de galeries et centres d’art de plus en plus nombreux dédiés à la création contemporaine, et déjà présents dans 12 des 54 pays.
D’un point de vue purement économique, on constate indéniablement l’existence de deux « hubs » qui concentrent les acquisitions d’œuvres sur le Continent – le Nigeria et l’Afrique du Sud -, et aujourd’hui la naissance certaine d’un troisième, le Maroc. Et avec l’ouverture en septembre dernier du Zeitz MOCAA à Cape Town, 1er musée mondial consacré à l’art contemporain africain et du MACAAL à Marrakech, une voie est définitivement tracée pour les collectionneurs et amateurs d’art contemporain.
Si Touria El Glaoui, fondatrice inspirée de la Foire 1.54 « a toujours voulu créer une édition sur le continent », et qu’il lui a fallu attendre le moment opportun, soulignant fort justement que « c’est important de montrer l’art contemporain africain sur le continent africain… avec la volonté de permettre aux collectionneurs africains de collectionner l’art de leur continent » , j’ajouterai que c’était “indispensable” – car indice de maturité – dans le développement du Marché de l’Art en Afrique…
Le regard de l’occident est en train de changer, et c’est l’un des enseignements forts de ces journées à Marrakech, comme la fierté des artistes à exposer leurs oeuvres « chez eux », offrant leur propre médiation, et allant à la rencontre de leurs publics.
Toutes les initiatives s’additionnent alors, à la manière dont se développe le Continent, de façon « disruptive », rompant avec d’anciens schémas rendus obsolètes à l’ère du Digital… Aujourd’hui les artistes contemporains du continent africain et de ses diasporas s’exposent et diffusent largement leurs créations sur le Continent. Et bien au-delà, grâce notamment à des plateformes en ligne dédiées, à l’initiative de startups africaines, qui participent à la transformation digitale du marché de l’art continental, utilisant les dernières technologies à leur disposition (dont la réalité augmentée et la blockchain) pour proposer au monde entier leur offre artistique tout en conservant le produit de la commercialisation des œuvres sur le Continent !
Alors, Oui, il fallait être présent à Marrakech ces derniers jours pour constater combien le Marché de l’Art Contemporain en Afrique se maille bien et fort, et que ses acteurs, pour une grande majorité des “actrices”, (Fondatrices/Directrices de Foires, Fondations, Festivals ou Biennales, Commissaires d’Exposition, Galeristes, Artistes, Critiques, Journalistes, Art Advisors…), au delà de défis encore à relever, veillent sans relâche à relayer et initier des actions pour son rayonnement au delà des frontières…
Par Marion Dupuch-Rambert, Art Advisor