2019, “l’âge de raison” du Marché de l’Art Contemporain Africain

Si l’âge de raison – qui décrit la période à partir de laquelle s’exprime la capacité de raisonner en reliant en conscience les aboutissants à leurs tenants – signe une étape importante de l’évolution vers la “responsabilisation”, force est de constater que cette année en particulier et notamment à Art Basel en juin dernier, cet état dynamique s’est illustré indéniablement lors d’évènements significatifs pour le Marché de l’Art durant les Foires internationales.

William Kentridge au centre sur le stand de Goodman Gallery à Art Basel en Juin 2019 et à l’arrière, une oeuvre de l’artiste Kapwani Kiwanga

En invitant William Kentridge à exposer au KunstMuseum de Bâle, dans une retrospective inspirante pour tous, le Monde de l’Art Contemporain a réuni autour de cet artiste défricheur et pourfendeur “de l’absurdité du monde”, des acteurs du Marché (collectionneurs, critiques, galeristes, commissaires d’expositions…) afin d’échanger avec lui, et non sans ironie souvent, sur l’actualité de la scène artistique de son pays, l’Afrique du Sud, et sur sa vision actualisée et plus globale de celle du Continent Africain. Par cet hommage et ce coup de projecteur sur les artistes originaires d’Afrique, un signal fort était donné alors au Marché de l’Art contemporain international.

Depuis plusieurs décennies déjà (pour rappel, le Festival des Arts Nègres a eu lieu a Dakar, au Sénégal en 1966) de nombreuses actions de promotion de l’activité artistique très riche et diversifiée de la scène contemporaine africaine et de sa diaspora, interpellent le Monde de l’Art. Et aujourd’hui, si l’on se réfère à la dernière édition de la Biennale de Venise, véritable olympiade de l’Art visuel de notre époque, la présence très forte d’artistes femmes engagées* originaires du continent africain ne peut que l’entériner !

Vue de l ‘exposition internationale à la Biennale de Venise 2019, à l’Arsenal – Copyright Zanele Muholi et Otobong Nkanga –

Récemment, durant la Frieze Week qui s’est tenue début Octobre à Londres, des galeries du continent africain au coté de galeries de dimension internationale ou de plus jeunes galeries londoniennes, comme Tiwani Contemporary, ont présenté à un public de collectionneurs exigeants les “nouveaux” talents de la scène contemporaine artistique africaine.

Copyright Simphiwe Ndzube chez Stevenson – Frieze London –

Plus encore, l’organisation durant la Frieze Week de ventes aux enchères dédiées à la scène artistique contemporaine d’Afrique et de la diaspora et d’échanges entre artistes et collectionneurs comme à GasWorks, à Londres – haut lieu de diffusion internationale de “l’art en train de se faire”- avec notamment la jeune artiste emblématique, Kudzanai Violet-Hwami – in conversation with Zoe Whitley, Senior Curator Hayward Gallery -, mise en avant il y a quelques années par la galerie de référence à Harare au Zimbabwe, First Floor Gallery, et plus jeune artiste invitée à la Biennale de Venise cette année, est aussi un signal évocateur envoyé au Marché de l’Art Contemporain.

Copyright Kudzanai-Violet Hwami

Durant la Frieze Week à Londres où les plus grands collectionneurs d’art contemporain se sont retrouvés pour cette rentrée 2019 du Marché de l’Art, à Somerset House se jouait aussi l’acte 7 de la Foire 1:54, dédiée depuis 2013 à la scène contemporaine du continent africain et de sa diaspora. Avec une programmation renouvelée de son Forum, sous le commissariat de Kerryn Greenberg, conservatrice à la Tate Modern, dédicacé cette année à Olabisi Silva – curatrice nigériane “phénoménale” et incontournable pour la promotion des artistes du continent africain durant de nombreuses années, disparue en février dernier – ainsi qu’une exposition “solo show” consacrée à l’artiste sud-africaine “booming”, Mary Sibande – présentée par ailleurs à Frieze London chez Kavi Gupta, Galerie d’Art de Chicago (USA) -, tous les ingrédients étaient là et les codes du marché respectés : à savoir les mises en correspondance et les effets de résonance par et, pour, le Monde de l’Art…

Prince Giasy chez Nil Gallery à 1: 54 Contemporary African Art Fair, London 2019

L’un des débats du Forum à 1:54 – présenté par Touria El Glaoui, fondatrice en 2013 de cette Foire internationale pionnière qui compte aujourd’hui 3 éditions annuelles (Londres, New York, et Marrakech) – a fait intervenir 4 responsables d’institutions, en charge sur le continent africain et au delà** de la diffusion et promotion locale et internationale des artistes de la scène contemporaine africaine et de sa diaspora, démontrant, s’il le fallait encore, les réflexions communes – à défaut, parfois, de concertées -, et les initiatives très concrètes – le plus souvent privées -, élaborées pour la promotion de l’art contemporain sur le continent africain, à Cape Town – Mocaa, à Marrakech – Macaal ou à Lomé notamment, mais aussi bien au-delà des frontières africaines comme à Washington avec la participation de la Smithsonian Institution avec le Directeur du National Museum of African Art.

Et d’aucuns, comme la charismatique et très engagée Koyo Kouoh – Commissaire d’exposition en chef et nouvelle Directrice générale du Zeitz Museum à Cape Town – avec sagesse et expérience, de rappeler tout le chemin parcouru et surtout “ce qui existe” sur le continent africain pour soutenir tous ses talents, tout en plaçant au centre du débat, le rôle à jouer par ces institutions en tant que diffuseur auprès des populations locales mais aussi pour l’histoire de l’Art du continent, ainsi que leurs responsabilités de promoteur de talents comme de “validation artistique” pour le Marché de l’Art.

Et c’est cette expression affirmée, comme la conscience de la nécessité d’interactions entre tous ses acteurs en vue de la consolidation des acquis, qui permet de souligner cette nouvelle étape dans le développement du Marché de l’Art Contemporain Africain, ainsi que le dynamisme de la scène artistique du Continent et de la diaspora africaine qui ne cesse de se réinventer; avec le lancement continu de nouveaux projets comme cette année AWA Projects – Programme philanthropique pour l’art contemporain africain à destination de la promotion des artistes femmes – qui a été lancé en marge du dernier Sommet international du G7 en France, en août dernier, faisant ainsi écho aux thématiques retenues – la parité professionnelle et le partenariat renouvelé avec l’Afrique, ou la première édition de BISO – 1ère Biennale Internationale de la Sculpture sur le continent africain, qui se tient actuellement à Ouagadougou au Burkina Faso, autour d’artistes de renom de la scène artistique contemporaine internationale et originaires du continent africain comme Barthélémy Toguo, au coté de talents plus émergents.

Aujourd’hui c’est indéniablement le Marché de l’Art Contemporain qui regarde vers l’Afrique pour (re)découvrir ses talents…

Et demain, c’est en France, 5ème place de marché mondiale pour l’Art contemporain que collectionneurs et amateurs d’art, au moment de la FiAC et de Paris Photo notamment, découvriront les dernières oeuvres des artistes de la scène contemporaine du continent africain, avant que AKAA, la 1ère et unique foire internationale en France centrée sur la création contemporaine de l’Afrique et ses diasporas – fondée en 2015 par Victoria Mann – clôture pour 2019 cette marche à grand pas !

Par Marion Dupuch-Rambert, Art Advisor.

*Julie Mehretu, Zanele Muholi, Otobong Nkanga, Kudzanai-Violet Hwami, Njideka Akunyili Crosby, Lynette Yiadom-Boakye, Selasi Awusi Sosu, Felicia Abban, Tracey Rose, Amina Zoubir, Valérie Oka, Georgina Maxim, notamment

** Directors Talk: Supporting African and Diaspora Artists
An opportunity to hear from and converse with directors at the forefront of institutions championing African and diaspora artists both on the continent, and internationally. Gus Casely-Hayford (Smithsonian National Museum of African Art), Koyo Kouoh (Zeitz MOCAA), Sonia Lawson (Le Palais de Lomé) and Othman Lazraq (MACAAL)

Image de couverture : Copyright Aîda Muluneh – “The Shackles of Limitations” In Water Life Project – 1:54 London 2019